Dans notre histoire de Dammarie, à laquelle chacun peut contribuer en nous contactant, cet épisode prend place entre deux autres :
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Photo (cliquable) : le charmant hameau de La Forge, au bord du Loing, sa passerelle et son moulin
Si on en croit l'excellent et très sérieux ouvrage de François-Pierre Chapat "La Puisaye au temps des ferriers" (Editions de Civry, collection Pierre écrite, 1981), c'est aux premiers siècles avant et après Jésus-Christ, de – 100 à +350, et avec l'apport de forgerons venus à l'origine d'Anatolie (Turquie actuelle) que s'est développée dans la Puisaye, à Rogny et à Dammarie, notamment, au hameau et au moulin de La Forge, mais aussi au moulin Pillon, au Moulin Brulé et dans toute la région, l'exploitation du fer. Ces moulins de forge sont ensuite devenus des moulins à céréales.
Le minerai était extrait à ciel ouvert ou dans des puits peu profonds à partir de la limonite ou, plus riche en fer, de la marcassite. Entre autres carrières, on trouve encore de tels trous dans nos champs et dans nos forêts.
Il fallait ensuite de l'eau pour laver le minerai, des pilons pour le concasser, des fours (ou fourneaux) et du bois (chênes et charmes surtout venant de la grande forêt primitive qui s'étendait encore sur Dammarie) pour le chauffer, le fondre et séparer le fer des scories.
Le bois était préalablement transformé en charbon de bois.
Les fours produisaient des amas considérables de scories, les fameux ferriers.
Ces amas ont servi ensuite, pendant des siècles, à renforcer les chemins et les routes, avant l'apparition du goudronnage.
Quant aux fours, ils étaient généralement détruits par les longues combustions nécessaires et reconstruits presqu'à chaque "fournée"; c'est pourquoi il n'en subsiste guère.
Extrait de l'ouvrage cité, le croquis (cliquable) ci-contre tente de reconstituer un de ces fours à partir de décombres à La Garenne, à Tannerre-en-Puisaye (Yonne).
Les ferriers de notre région étaient parmi les plus productifs de la France actuelle et le fer produit était pour une bonne partie exporté en caravanes par les routes et les voies navigables, dont sans doute le Loing. L'empire romain, à l'époque, ne serait-ce que pour ses armées, avait d'énormes besoins de fer.
Les acheteurs de fer et d'autres produits locaux étaient aussi des marchands de multiples productions venues des quatre coins de l'Empire; c'est à cette époque que Dammarie a dû commencer à utiliser couramment des objets et des denrées non produits localement. La mondialisation était déjà là…
Ouvriers bucherons, charbonniers, mineurs, mais aussi - hélas – des esclaves atrocement maltraités devaient abonder alors à Dammarie, avec aussi, sans doute, un ou plusieurs fondeurs, "ferrons" (marchands de fer) et forgerons.
Photo (cliquable) : forge gauloise reconstituée Ces maîtres de la mine, de la production et du travail du métal, souvent nomades et originaires d'Asie mineure, avaient alors le prestige sulfureux de véritables sorciers et d'alchimistes. Assimilés à des diables, ils étaient craints et respectés par les villageois. Ils constituaient sans doute une caste fermée et jalouse de ses secrets ayant son propre vocabulaire technique, voire sa propre langue et célébraient le culte du dieu Vulcain.
Au sortir du four, les "lopins" de fer étaient coulés en lingots souvent triangulaires et exportés ou remis aux forgerons.
Les ateliers de forge, avant que, sans doute plus tard, leurs martinets (marteaux automatiques) soient actionnés, comme à La Forge à Dammarie, par la force hydraulique, étaient, remplis d'esclaves. Ceux-ci, capturés lors de razzias dans les tribus gauloises voisines ou faits prisonniers lors de conquêtes romaines lointaines, étaient munis de simples marteaux frappant sur des enclumes.
Des monitores, sortes de contremaîtres et un ou plusieurs villici, sortes de régisseurs, organisaient la production sous l'autorité du procurator, l'intendant représentant l'État romain.
Oui, la base de l'industrie du fer était, sans doute à Dammarie et en Gaule, à l'origine, une entreprise publique impériale.
Des forges moins importantes, privées, ne tardèrent cependant pas à se multiplier.
Deux photos cliquables d'un moulin forge médiéval des Alpes Maritimes.
Photo 1 : le canal (beal), dérivé de la rivière) qui actionne la roue.
Photo 2 : l'atelier où le gros marteau (martinet) est actionné par la roue du moulin
En marge des grandes forges situées à la sortie des grands fours ou de réseaux de petites forges regroupées se sont ainsi installés, aux premiers siècles de notre ère, des artisans et des artistes ferronniers, ferblantiers et maréchal-ferrant. Ces derniers étaient des muletiers ambulants à l'origine. Dammarie a connu de tels artisans jusque dans les années 1960.
C'est aussi à cette époque que l'agriculture, outillée de fer, s'est diversifiée (élevage notamment, en plus de la chasse) et s'est faite plus productive, que la vigne est apparue, et qu'ont dû s'installer dans notre village, alors à base de cabanes en bois et torchis aux toits de paille et de roseaux, ses premiers potiers, briquetiers, tuiliers, maçons, tailleurs de pierres, paveurs, menuisiers, charpentiers, charrons, tanneurs, bourreliers, cordonniers, vanniers, tisserands, couturiers, tonneliers…
Nul doute aussi qu'avant et pendant la christianisation des cultes enchevêtrés étaient rendus à Dammarie aux dieux et déesses gaulois et romains.
Les forgerons gaulois de notre région assimilèrent et améliorèrent vite les techniques venues d'Orient au point d'acquérir une excellente réputation, loin dans l'empire romain.
Il semble que ce qu'il est convenu d'appeler les grandes invasions, dès la fin du 3ème siècle, et les périodes de chaos qui s'en suivirent dans la région, ainsi que la dislocation de l'Empire Romain, ont mis fin à l'industrie ferrière et à ses mines et moulins, mais pas à l'artisanat ferrier. La Forge, à Dammarie, dont les bâtiments actuels sont bien plus récents, a continué à marteler longtemps après…
Qui donc s'intéressera enfin au riche patrimoine historique de notre commune, au point de le fouiller, dans tous les sens du terme, pour le valoriser, le faire mieux connaître, reconnaître et davantage apprécier ?
Ci-dessous :
1. La plus ancienne carte connue de Dammarie, réalisée au XVIIème siècle, par Lattré, peu après l'ouverture du canal de Briare.
2. Dammarie : La Forge vue du ciel, aujourd'hui.
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