A Dammarie, l'année 1642 a été marquée par deux évènements historiques. Le premier: la mise en service du canal de Briare enfin terminé, même s'il connait de graves problèmes d'alimentation en eau. Le second : le passage, sur ce même canal, fin septembre, de l'extraordinaire convoi accompagnant le cardinal de Richelieu à qui il ne reste que quelques semaines à vivre.
Au côté du roi Louis XIII, Richelieu est, à 58 ans, l'homme le plus puissant de France. Il a mis au pas, pour un temps, les nobles frondeurs et les protestants qui jouaient un jeu trouble contre la royauté catholique. Il a contenu ou vaincu la maison d’Autriche des Habsbourg et ses alliés de Bohème, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal.
Mais la France est exsangue, l'impôt écrasant, l'insécurité générale, les jacqueries durement réprimées sont légion et l'impopularité de "l'homme rouge" (la couleur de ses habits de cardinal) est immense. Les complots contre lui se multiplient.
Richelieu se trouve en Languedoc où il vient, avec les armées royales, de reconquérir le Roussillon contre les Espagnols. Souffrant de divers maux et en particulier d'hémorroïdes depuis longtemps, son état s'aggrave : il contracte des abcès, des ulcères et une tumeur au bras. Il souffre énormément et ne peut plus voyager qu'alité.
Pour lui éviter les cahots des chemins, on lui confectionne une vaste litière à porteurs, entourée de damas rouge tramé d'or avec, contre la pluie, un toit de toile cirée et, à l'intérieur, un lit, une table, une chaise pour un accompagnateur.
Partout où il passe ou séjourne, on abat des portes, des murs, des maisons ou on pose des ponts pour laisser passer sa couche. Un chroniqueur Bourbonnais raconte : « Faut noter que en tous les logis où il a logé depuis Lyon jusqu'à Digoin il n'est point entré par la porte ordinaire de son logis, mais se fait rompre les murailles des chambres hautes et faire un pont et escalier de ponsons et poutres et par ce moyen se fait porter par des hommes dans un brancard renfermé jusque dans la chambre de son logis. »
Un projet de décor peint par Louis Boulanger (1806-1867), pour la pièce de Victor Hugo Marion Delorme, inspirée des faits, en donne une idée.
Vingt-quatre mousquetaires se relayent pour porter, à dix-huit, la litière que l'on pose sur un bateau, pour remonter le Rhône jusqu'à Lyon. Richelieu ramène avec lui Henri Coiffier de Ruzé, marquis de Cinq-Mars, favori du roi, qui l'a trahi et qu'il fit juger et décapiter, avec son comparse François-Auguste de Thou, le 12 septembre 1642, à Lyon.
Le convoi repart le jour même et remonte la Saône jusqu'à Chalon avant que la litière soit portée jusqu'à Roanne où elle est chargée sur la Loire. Elle gagne ensuite Briare, Dammarie, Montargis, pour finir, par le Loing jusqu'à Nemours puis, à pied, par la route, jusqu'à Paris.
Dans ses Historiettes, Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692), biographe de Richelieu, raconte : "Une fois qu’il eut attrapé la Loire, on n’avoit que la peine de le porter du bateau à son logis. Madame d’Aiguillon [fidèle nièce du cardinal] le suivoit dans un bateau à part ; bien d’autres gens en firent de même. C’étoit comme une petite flotte. Deux compagnies de cavalerie, l’une deçà, l’autre delà la rivière l’escortoient. On eut soin de faire des routes pour réunir les eaux qui étoient basses ; et pour le canal de Briare, qui étoit presque tari, on y lâchat les écluses. M. d’Enghien [Henri II, Prince de Condé (1588-1646), futur protagoniste de la bataille de Bléneau en 1652] eut ce bel emploi"
La litière est suivie par de nombreux carrosses pour les secrétaires, les médecins, le confesseur et les domestiques et un nombre important de nobles. Le personnel de moindre importance chevauche 18 mulets afin de surveiller 6 charrettes de bagages à 4 chevaux chacune, ainsi qu'un fourgon et 6 chevaux de somme pour les ustensiles de la cuisine et de l'office. Il y a, pour la cuisine et le service 3 chefs et 12 garçons. Douze chanteurs et musiciens, parmi les meilleurs, suivent le cardinal partout. Les hommes d'armes sont 100 gardes à cheval, 200 mousquetaires, une compagnie de gendarmes et une de chevau-légers, commandés par un capitaine, un lieutenant, un enseigne, deux maréchaux des logis et quatre brigadiers.
430 personnes environ, forment cette suite domestique. C'est cette extraordinaire vision de l'arche du cardinal, de sa nombreuse suite et d'une escouade de mousquetaires assurant la sécurité de chaque côté du canal qui s'offrit donc à la vue des habitants de Dammarie, en cette fin septembre 1642. Ils furent sans doute surpris et apeurés mais peu enclins à apprécier le spectacle et à saluer celui qui passait et qu'ils devaient, pour la plupart, détester. Un étonnant tableau de 1829, peint par Hippolyte Paul Delaroche et représentant le convoi sur le Rhône, donne une idée du fabuleux équipage. En dépit des bons soins de son chirurgien, du nom de Juif, et de son médecin Citoys, des incisions, des saignées, des lavements, du crottin de cheval qu'on lui fit boire dans du vin blanc, de l'application des reliques de Saint-Fiacre et de Saint-Joseph, du crochet que son convoi avait fait à Bourbon-Lancy pour prendre les eaux et du bon air de Dammarie qu'il respira, l' état du cardinal s'aggrave fin novembre. Achevé par une pleurésie, il décède dans un de ses palais, rue Saint-Honoré, à Paris, le 4 décembre 1642 et est enterré dans la chapelle de la Sorbonne (ci-dessous).
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